Riquet, cheval de labour . Lorsque mon ami Noël si grand me semblait-il avec ses dix-neuf ans m’a hissé à sa place sur la selle du percheron paternel à la robe pommelée comme un ciel nuageux géant massif placide tout en muscles j’avais cinq ans et sur la photo grise on peut voir que je n’étais pas peu fier J’ai pris les rênes et clac avec un hue nous sommes partis tous deux vers la ferme à une centaine de mètres de chez nous Noël est resté à discuter avec mon père pendant que je ramenais le doux colosse à l’écurie… Docilement il s’est rangé le long d’un muret comme d’habitude pour que je puisse descendre seul puis m’a suivi à la longe jusqu’à son box Avant que je repousse le portillon il s’est penché très bas vers moi pour une caresse sur son museau de si tendre velours gris, m’a regardé avec ses yeux humides de brave animal et moi je n’avais pas conscience qu’il n’était pas vraiment un humain comme moi… Enfin j’ai quitté l‘écurie et ses forts remugles familiers, « Au revoir, Riquet. À demain… » Le cheval m’a répondu avec un bref hennissement qui m’a rassuré C’est le coeur léger que je suis rentré alors que le soir à l’horizon déployait sa roue mauve, gorge-de-pigeon et or Dans la salle à manger ma mère était en train d’expliquer que Noël avec moi n’était pas prudent tandis que ma grand’mère s’efforçait de la rassurer sans succès ! À table j’ai fait preuve d’un splendide appétit…
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Note : Ce cheval avait été baptisé Riquet en référence à « Riquet à la houppe », car il avait une ample crinière avec la particularité, depuis sa naissance, d’un épi de crins rebelles entre les oreilles !
J’ai lu qu’un jour Brahms et Mahler, après une répétition à l’Opéra, étaient allés se promener au Stadtpark de Vienne, le long du canal Wiental. Les deux compositeurs discutaient, à la suite de leur passage devant l’imposant monument dédié à Johann Strauss, de leurs conceptions et de leurs places respectives dans l’histoire de la musique. À Brahms avouant qu’il se considérait comme le dernier représentant de la vague musicale romantique et l’interrogeant sur son pont de vue, Mahler désigna une risée à la surface du canal et déclara qu’il était l’une des vaguelettes suscitées par la brise. Quoique mahlérien passionné depuis toujours, il m‘arrive parfois, fugitivement, de comprendre le désenchantement de Brahms.
Petit Ezra qui devient grand sous les yeux attentifs de son père a découvert l’art du « skateboard » et hop voici qu’il soulève l’engin du bout du pied ou saute dessus en virtuose admiré par les passants masqués qui l’encouragent en traversant le parc de la résidence pour aller faire leurs courses Ezra est un enfant très moderne il est expert en « Switch Nintendo Games », son accent anglais est parfait, en lecture il se défend comme en mathématiques Au piano il arpège son plaisir et il y a en lui un moteur atomique qu’on ne freine pas facilement excepté lorsqu’on fait jouer sa raison sa délicatesse et l’amour spontané qu’il ressent pour les gens
Sur l’eau de l’étang les feuilles tombées se mêlent par nostalgie au reflet des frondaisons dont le vent les a détachées Ainsi sur le miroir laiteux du présent nos souvenirs se déposent en poèmes
Délivrer mes poèmes de leur composante ennuyeuse et sentimentale : voilà qui ne va pas de soi Pourtant les vocables « soleil » ou « montagne » « arbre » « risée sur la mer » ou « rosée sur l’amour » entre autres n’ont pas besoin de nuances pour émouvoir puisque tous nous avons l’expérience de l’implicite qu’ils évoquent Quant ceux qui ne ressentent rien n’entendent rien, ne voient rien à leur énonciation – la parole ne se laisse pas aller à croire qu’il n’y a pas pour eux de solution !
Cette troublante confiance des objets dans l’avenir… Comme s’ils savaient qu’ils dureront plus longtemps que nous
Et non seulement pyramides ou stèles mais haches de pierre polie, perles de corne et d’ivoire, poteries peintes
ou comme ces simples couteaux dormant dans le tiroir de ma cuisine du sommeil de ceux martelés à l’âge du cuivre qu’on a retrouvés près de Minusinsk gainés de vert-de-gris depuis six mille ans
Apprends de tes cousins disparus du néolithique l’humilité qui rend plus humain et face aux objets inconscients de ton quotidien émerveille-toi de ton âme éphémère et de ce que penser recèle de précieux !