Décès de Michel Deguy
Michel Deguy (décès)
Publié dans Poésie en vers et en prose
Correspondances
Correspondances
Soleil pris dans les rideaux
Ne sois pas triste ma joie
Le palmier veut un peu d’eau
Son bouquet de palmes ploie
La Belle vient l’arroser
D’une gerbe transparente
Sans cesser de lui causer
Ainsi qu’à ses autres plantes
On pourrait croire à la paix
Tant la rumeur de la ville
Qu’étouffent les murs épais
Tisse un silence tranquille
Devant ce bruit de fond sourd
S’avive la voix aimée
Comme en écrin de velours
Luit l’opale d’un camée
Prose de lieux communs
Prose de lieux communs
Comment l’humanité peut-elle se faire à elle-même tant de mal ? De toutes les faces de la planète nous arrivent des échos guerriers ! Certaines personnes en font des prétextes à écrire et à poétiser. Ils offrent à lire cent équivalents de « Grodek » et des mâchoires fracassées de Trakl… J’en suis affreusement triste ! Crier contre les tyrans ! Quelle facilité, si aisément justifiée ! Mettre en relief l’horreur des comportements humains et s’indigner, source d’inspiration inépuisable… Comment lutter avec ces atroces évidences ! Le sang, les corps aux chairs broyées, les bombes effroyables ! Comme si les individus n’étaient plus que machines, robots organiques, dénués de toute valeur sacrée et, du reste, à présent trop nombreux pour ce que le globe peut supporter sans se dégrader. Je veux chérir et chanter l’insignifiant, le babil des cigales, le ramage des passereaux, le murmure que les grands pins empruntent au vent, la voix du roseau à mes lèvres ! Dire clairement tout ce que la Nature, qu’on s’acharne à détruire écologiquement et scrupuleusement malgré nous, recelait de merveilleux et coloré par une aura émanant de notre âme : une éternelle aube de Mai, pareille à la présence d’Aïlenn, pleine d’une radiation amoureuse, pleine d’une richesse créatrice, pleine d’une folle beauté dans la moindre feuille, dans la moindre motte de terre, dans le moindre ver, le moindre papillon, dans le moindre des paysages, bref, dans le moindre Autre qui recèle toute cette intime splendeur que nous détruisons.
Remise à l’échelle
Remise à l’échelle
Le soleil tire des angles d’ombre sous les balcons
Il ne voit que les toits, les rues des villes, les crânes
et pas les visages des gens – quel ennui comparé
aux frissons des arbres, des feuillages, des fleurs,
à sa scintillance dans les gouttes-miroirs de l’aigail
Il lui resterait envison cinq milliards d’années
à flamboyer, paraît-il, auprès de quoi les quelques
milliers de millénaires qui sont toute la trajectoire
peu reluisante de l’Humanité ne sauraient rivaliser…
Pourtant les humains visent à s’égaler aux étoiles !
De la bouche des enfants
De la bouche des enfants
Le présent glorieux comme un soleil couchant
déroule son ordinaire extraordinaire
Ce matin il pleuvait le jardin sentait l’humus
Une odeur qui nous apprend que nous sommes
comme consanguins des herbes et des arbres
Réjoui par la pluie le merle s’égosillait en trilles
avec une inventivité plus riche que d’habitude
De petits enfants dans la rue suivaient leurs parents
en pépiant gaiement car nous sommes dimanche
Oh les voix fraîches des bambins qui donnent
simplement sur le monde leur avis déconcertant
sans se soucier de la bruine sur leur visage
ni d’éviter les sujets dont « on ne doit pas parler »
Le passant qui entend sourit et leur pardonne
ce qu’il ne pardonnerait pas à un poète!
(Pourtant leurs vérités aux uns et à l’autre
le plus souvent sont de la même essence!)
Mutisme et rumeurs
Mutisme et rumeurs
Quoi de moins loquace
que les choses essentielles de cette terre
À la source on n’arrache que quelques rares
gloussements de cristal
à condition que les reflets se soient élargis
dans la vasque naturelle des pluies et de l’argile
Aux pierres il faut des entrechocs brutaux
pour obtenir un ou deux cris d’étincelles
L’esprit cherche le vent au fond duquel scintille l’Étoile lointaine
et s’indigne de l’universelle suffisance d’informations insuffisantes
tandis que la rumeur atroce des guerres et le fusement bruyant des missiles
nous ramène aux affres d’un monde sibyllin qui n’en a jamais fini avec lui-même
En écoutant la mer
En écoutant la mer
Lumière et vent !…
Lors la mer au pelage moucheté d’ocelles vertes et satin blanc
sous les flèches roides se tordait géante comme la panthère de tes rêveries d’enfant
Sud-est quart-est un unique pêcheur tirait des bords sur sa vieille saugue à la voile comme le golfe sombre et creuse
Le vent apportait sa voix apostrophant d’invisibles sirènes
Lumière et vent !…
Lors la mer en mante glauque là-bas là-bas escortée d’oiseaux hurleurs s’insurgeait face au féroce Paradis des tropiques
avec ses jungles closes sur le ciel ainsi que cathédrales
résonnant des rugissements de fauves affamés, des sifflements hypocrites d’immenses pythons noirs, des échos multipliant les aboiements de singes jacasseurs ou d’aras querelleurs
Lumière et vent !…
Sondant d’une langue en Y l’odeur de moisi des mangroves sortait de l’eau l’anaconda muet aux écailles géométriques pour s’enrouler autour des branches énormes des pénombres
où des nuées de taons aux corsets miroitants cachent l’oeil vitreux de quelque léviathan dont seule à ne point fuir devant l’affreuse pestilence la mort décomposerait le sourire jusqu’au squelette hérissé de dents qu’elle pétrifierait inexorablement
Lumière et vent !…
C’était cela que te racontaient les vaguelettes qui venaient mourir devant toi lorsque vautré à plat-ventre dans le sable tiède tu associais Kipling et Defoë pour imaginer ce Là-bas
déployant horreurs et merveilles au-delà de l’horizon clos sur les flots calmes et le soleil serein des bords de Méditerranée
trop familiers pour un jeune convalescent assigné à résidence !
Perle allégorique
Perle allégorique
Ne cherche pas à connaître ce que vivre te refuse
Tu ne verras pas un enfant naître de ton corps
Tu n’iras pas impondérable flotter dans l’air
rance d’une station spatiale cerclant la terre bleue
Si tu es au monde pour un moment le monde
n’es aucunement à toi et tu y es un étranger
Quelque chose comme le grain de sable aigu
que l’huître va patiemment enrober de nacre
jusqu’à ce qu’il ne soit plus que rondeur irisée
close sur soi, inoffensive et finalement sans vie
tandis qu’alentour et là-haut près des écumes
la mer éternellement continue d’étriller les rives
Féministes
Féministes
Pâles dans leurs mots et mal dans leur peau
Nées de la vague au cri tourbillonnant des mouettes
Ce sont les Walkyries modernes
Elles se vengent des millénaires et de ce qui fut la nature
Leur antique asservissement fait feu de tout bois
pour consumer les pères ces tyrans…
“Est-ce bien la peine quand ce qu’on appelait “Humanité” aura disparu
très probablement avant le vingt-troisième siècle ?”
déclarait la Pythie du haut de son tabouret enfumé par le brûlis des lauriers
en affichant la moue désabusée de Cassandre…
L’oiseau de l’île Solitaire
L’oiseau de l’île Solitaire
Invisible mais pesant sur son épaule droite, près du cou, se cramponnait un genre de perroquet bavard. Contre l’oreille, sarcastique, il se plaisait à critiquer les choses.
Toutes les choses… La façon dont les humains gèrent le monde… Leur absence – précisément – de ce qu’ils appellent «humanité»… Leur renversante absence d’éthique…
Pesant sur son épaule droite, ainsi que ces oiseaux familiers des pirates borgnes des Caraïbes. Et constamment jactant avec une lucidité volubile inaccessible à l’indulgence :
« L’indulgence ? Soit de la pitié, soit de la faiblesse ! Une honte dans l’un ou l’autre cas ! Il faut trancher, en sorte que la parole, écrite ou non, parachève pour tous la réalité. »
Quand le temps serait venu, adieu ! D’un coup d’aile, il irait squatter l’épaule de quelqu’un d’autre : c’était un ingrat psittacidé ; sans scrupules et froid comme la mort.
Plante d’intérieur
Plante d’intérieur
Le palmier miniature s’ébouriffe
dans son pot près de la lumière
Le soleil par la baie le confond
avec une touffe de fougères
Sa sève sans doute est chargée
d’une intense envie de vivre
Si marcher ne lui est pas donné
il n’est pourtant pas malheureux
Il emploie autrement l’espace
Il est un dialogue de solitudes
Catégories
- Ascensions
- CARAVANIER DU SILENCE
- Dans la patience du jour
- Délassements
- Deshérences
- Ezra
- Hellenika
- Jeu bleu
- L. du vent bleu
- La Rose du Vitrail
- Litoribus adludit
- matière noire
- MINES DE RIENS
- Outre le Vent et l'Écho
- Poèmes des ans incertains
- Poésie en vers et en prose
- SITES AMERS
- Sous gréement de fortune – poèmes
- Statue de sel
- SUITE INCERTAINE
- Sur le motif
- survivance
- Timbres-poste