Décès de Michel Deguy
Michel Deguy (décès)
Publié dans Poésie en vers et en prose
Coupable
Coupable
C’est si compliqué
d’aimer un être qui change
aussi facilement qu’un ciel d’avril
du gris au bleu, du serein à l’orage
du compris à l’incompréhensible
Le hasard semble virevolter dans son âme
comme pluie dans les rafales
Les nuages fractals y apparaître
ou disparaître sans explications menuisés
par le soleil de joie ou la lune de mélancolie
C’est si compliqué d’aimer
une présence qui nous est tellement
énigmatique voire surnaturelle
D’aimer qui vit sur la même terre
qui respire le même air, boit la même eau
et pourtant toutes ses pensées
sont étranges, ses réactions imprévisibles
et même les mots n’ont pas le même sens
pour nous et pour l’être qui pourtant
depuis si longtemps occupe notre coeur
Ses mains frêles
Ses mains frêles
Ses mains frêles réunies
entre mes paumes ainsi
enfant j’avais recueilli un petit oiseau
Je sentais battre son coeur rapide
incertain de mes intentions
tant sont terrifiants les êtres humains
Puis il s’est apaisé et m’observait
son oeil rond interrogatif mais sans inquiétude
J’aime tant tes mains frêles
entre mes paumes comme un oiseau bleu
Et lorsque j’ouvre l’espace
j’aime les voir s’envoler vers leurs activités du jour
Fanatisme du Moloch
Fanatisme du Moloch
Comment être joyeux et rire
de ton monde en train de s’éteindre ?
Regarder ailleurs ou afficher un humour
surplombant – est-ce encore attitudes possibles
alors que des forces intimes s’attachent
à « déconstruire » ce qui fut la « douce France »
laquelle a commencé à n’être plus
ni douce ni France mais une sorte de marécage
d’identités diverses où les politichiens pataugent
guidés par des politichinelles et nul d’entre eux
n’a plus de boussole pour s’orienter
Les vieux dieux remontent à la surface
des imaginaires avec leurs guerres avouées
ou larvées, leur aveuglement, leur obscurantisme
Les jeunes dieux occupent les réseaux sociaux
espaces de toutes les injures et de tous les crimes
où se fomentent toutes les pires folies humaines
de sorte que n’existera bientôt plus
aucune vie civilisée digne de ce nom
Insidieuse décomposition
Insidieuse décomposition
Cette nuit a Paris les ailes du Moulin rouge sont tombées
Paris de déglingue
Mais les pigeons restent vigoureux ailes bien agrafées
On aimerait que les constructions, la pierre argentée des façades
résistent aux avanies du futur
Habitants de vos corps
sachez pourtant que tout est compromis
et qu’aux heures sépulcrales
aux branches du feu les fleurs
annoncent que nos os se consumeront tôt ou tard
ainsi qu’évidemment l’espace qui bleuit brusquement
en se glissant à demi outre-horizon comme une lettre trop grande pour la fente de la boîte postale
Ce qui explique qu’en cet univers-ci rien n’atteigne jamais son but !
À l’heure de l’aiguail
À l’heure de l’aiguail
Cèleri chaleur douce rêve du vent
Par les courtes nuits d’août au jardin
ton odeur enchante la lune
Tes verdeurs frisent parmi d’autres légumes
dont les formes fraîches me plaisent tant
ornées des brillantes girandoles du matin
pour me rappeler ce que je suis sur cette terre
je veux dire : un être humain…
Rébellion
Rébellion
Pour sortir de ta prison verbale. « Bienvenue dans l’heure du crime ! » La lutte détestée renverse les statues. Brise les vases Ming aux ramages indigo. Iconoclaste ! D’où vient cette voix sans timbre ? De hautes terrasses ? Plutôt d’un monde hanté de chaises-longues et de sable. Sinon d’un appartement de vacances où le silence définitif s’est installé après le drame.
Bibliothèque
Bibliothèque
Comment expliquer qu’en lisant
les écrits d’autres auteurs
l’admiration qu’ils t’inspirent très souvent
frappe d’insignifiance et de fadeur tes propres pages
Elles ressemblent à ces brouillons de vagues
parmi lesquelles au bord de la plage
en se dissipant se roule l’écume
déception de blancheur bue par le sable
Alors tu rêves à toutes ces vies
rencontrées au travers de poèmes étrangers
Toutes ces vies que tu ne vivras jamais
sinon par fragments suggestifs
en un puzzle de souvenirs mêlés d’imaginaire
qui émerge des mille détours de leur langage
et reconstitue la surrection d’une Beauté
intangible et désirable hors de l’azur salé…
Après la nuée ardente
Après la nuée ardente
La cendre du présent
conserve secrètement une sorte de Pompéi
dans nos mémoires
Il en ressurgit parfois une personne ou plusieurs
ou un décor tantôt insonore
tantôt musical
plein d’inflexions de voix perdues telles que celles
qui nous reviennent inarticulées
en forêt les jours de grand vent
Des voix dont il faut selon le ton ressusciter ce qu’elles disent
à mesure que l’on en écrit
l’âme pleine de joie ou de chagrin
et dans tous les cas pleine de doutes
Torrembara
Torrembara
Culbutes d’écume
au bout de la Paella
Mer et vent d’avril
HI K’ANG
HI K’ANG
Fatigué des rudesses du monde
il est plaisant de flâner
dans les vergers qu’illuminent
les mille fleurs de rhétorique
d’un printemps de paroles
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